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Raphaël Lucas triomphe à Sylvanès avec un oratorio puissant

Ce 25 juillet, l’abbaye de Sylvanès a proposé un des points d’orgue de son 44ème festival : la création mondiale de l’Oratorio du sétois Raphaël Lucas “Une voie dans le silence”. Une œuvre qui s’articule autour d’un texte religieux contant la vie d’un saint orthodoxe. Après un début de carrière aux USA, le jeune compositeur, récemment installé en Aveyron, y a reçu un accueil triomphal. Par Hélène Bertrand-Féline et Lionel Navarro.

Longtemps resté dans les tiroirs, cet oratorio franco-russe d’une abbaye qui cultive des affinités avec la Russie a enfin vu le jour quand Raphaël Lucas est devenu résident, il y a deux ans, de l’abbaye de Sylvanès.

Dans le cahier des charges, un texte écrit par le père Philippe Baud en hommage à Serge de Radonège, l’un des saints les plus vénérés de l’église orthodoxe et l’utilisation de deux chœurs dont un Russe. L’œuvre se décompose donc en 8 tableaux musicaux reflétant différentes étapes de la vie du saint entre lesquels s’interposent les textes lus par un récitant. A partir de ces paramètres, le compositeur a eu toute latitude de création.

Seul face à sa composition

Baskets et pantalon de cuir noir, le compositeur est à la baguette. Cuivres et percussions constituent l’essentiel de l’orchestre : trompettes, cors, trombones et tuba d’un côté et timbales, cloches tubulaires, cloches d’église russe, carillons, grosses caisses, tambours et simandres de l’autre. Une harpe complète l’équipe musicale. Deux chœurs, un soliste et un récitant : le dispositif est impressionnant pour une œuvre puissante.

Une œuvre contrastée

Chacun des huit tableaux est précédé d’une lecture du livret : malgré le talent de narrateur de Michel Wolkowitski (directeur artistique du festival et instigateur de ce projet), le texte n’a rien d’épique et semble un brin catéchisant et ennuyeux. On l’aurait rêvé en russe ou en latin, voire chanté, afin d’y trouver une saveur plus poétique ou onirique.

Du son !

D’emblée le ton est donné : ça claque, ça tape, ça envoie ! Diverses références explicites s’expriment dans la partition : souvent illustrative, la musique de Raphaël Lucas se réfère à la musique de film, à certains codes de la musique techno mais aussi à la musique liturgique orthodoxe : se succèdent des piani très mélodiques des deux chœurs (le chœur symphonique de Montpellier et l’ensemble vocal du chœur de Saint-Pétersbourg) et des forte éclatants de cuivres et de percussions. Au fil de la partition, les forte gagnent en volume, couvrant parfois les voix des choristes et prenant tout l’espace, là où l’intensité aurait pu naître davantage de l’écriture que des décibels.

De très belles voix

La basse Plamen Kumpikov (ci-dessus) impose une présence charismatique et une superbe voix. Il a offert au saint qu’il incarne une dimension spirituelle et onirique. Les dialogues avec les chœurs sont très nuancés et de belle facture. La voix, puissante, reste toujours présente malgré l’intensité du son de l’orchestre, avec de belles nuances  mélodramatiques.

Et un beau succès !

Le public venu nombreux a été conquis par ce concert :  longuement applaudi, Raphaël Lucas a savouré l’accomplissement d’un travail de deux années qu’il espère pouvoir présenter à d’autres publics.

 

“Le public a adhéré, c’est génial !”

Interview LOKKO du compositeur de l’oratorio Une voie dans le silence juste après la création de son œuvre pour le festival de l’Abbaye de Sylvanès par Hélène Bertrand-Féline et Lionel Navarro.

LOKKO : Raphaël Lucas, vos impressions d’après concert ? Comment avez-vous pu organiser les répétitions avec les contraintes sanitaires ?

Raphaël Lucas : J’ai été surpris par la durée. Je ne pensais pas que cela ferait une heure et demie ! Je l’ai découvert hier soir à la répétition générale… Quant aux conditions sanitaires, les choeurs ont commencé à chanter in extrémis, juste à la levée du confinement… Ils ont donc pu le faire en toute légalité. Pour les Russes, ça a été toute une aventure de savoir s’ils avaient le droit de voyager…

Le chœur russe était intégré dans le projet depuis longtemps ?

Depuis le début. C’est Michel Wolkowitski qui avait pensé le concept du double chœur, le principe d’un chœur français, un grand chœur mixte, et d’un chœur de chambre russe. Il connaissait déjà Yula Khutoretskaya, la chef du chœur russe. Il avait envie de la faire participer à ce projet. Il m’a laissé carte blanche pour le concept de la pièce, le montage instrumental, les cuivres, la percussion, pour les choses assez « brut » en fait. Michel a commandité le texte à Philippe Baud qui est l’auteur du livret.

Vous aviez déjà le thème quand vous avez composé ? Comment ça s’est passé ?

Le thème avait été proposé par Michel Wolkowitski. Ce projet était dans les tiroirs depuis une vingtaine d’années. Avec Michel, nous avions eu une conversation sur Tarkovski et Dostoïevski. Quand je suis revenu m’installer dans la région, j’ai repris contact avec lui. L’idée de se lancer dans la création de cet oratorio est née ainsi.

Sylvanès a toujours été très liée avec la Russie grâce au Père Gouzes. Il y a toujours eu des liens étroits comme en témoigne l’église orthodoxe près de Sylvanès.

Tout à fait. C’est aussi un travail artistique qui colle à la culture et à l’identité de Sylvanès.

Pour le choix des instruments pour Une voie dans le silence, vous parlez de quelque chose de « brut ». Comment manier la brutalité pour le dialogue avec les choses du ciel et du spirituel ?

Justement, c’est ce que me semblaient permettre la pulsion et les cuivres. Il y a un thème, un ambitus dynamique et de timbres entre les choses qui peuvent être très, très douces, très suspendues, très résonnantes et la puissance brute, sonore et d’attaque. Les percussions, justement. Cela parle d’un monde où la nature est très brute, où les corps sont soumis à toutes les pressions politiques, naturelles, les éléments… Il m’a semblé que dans ce monde russe dont parle le livret, il y avait ce contraste, quelque chose de très, très brut et quelque chose de super élevé.

Par quoi avez-vous commencé pour écrire la musique de l’oratorio ?

J’ai commencé par attendre que le texte soit écrit. Je m’étais déjà fait une idée de l’instrumentalisation que je voulais. En fait, j’ai même écrit la note d’intention bien avant d’avoir le texte et bien avant d’avoir composé. Et ça m’a entièrement guidé sur la conception du projet. La forme n’y était pas mais le concept y était. Je savais quels instruments allaient avoir quel rôle et comment j’allais les utiliser pour donner corps à cette symbolique-là. Ensuite, on a eu le texte. Philippe Baud l’a écrit. J’ai eu le texte sous une forme très littéraire, et, au fur et à mesure que j’ai composé, je l’ai réadapté à mes envies de forme et aussi de scénarisation de la musique…

D’où l’idée des différents tableaux ?

Les différents tableaux, c’était sur le projet de départ. Le texte a été conçu comme ça. Il y avait différentes étapes. Je trouvais que c’était une excellente idée parce que ça permettait d’évoquer différentes choses sans avoir à faire comme un opéra, un truc continu. Après, une fois que j’ai eu le texte qui donnait les atmosphères de chaque tableau, je me suis mis à travailler tableau par tableau sur ce qu’il y avait comme matière. J’ai aussi beaucoup fait de recherches sur la liturgie orthodoxe russe pour avoir des références. Le chœur russe chante en slavon uniquement de la liturgie. Je me suis renseigné sur la culture orthodoxe pour comprendre un peu les formes et comment était pratiqué, en réalité, ce genre de texte dans la liturgie. C’est une espère de fusion post-moderne entre beaucoup de références. D’un côté, il y a aussi pas mal d’idées qui viennent de la musique classique, de la musique de film.

C’est repérable. A l’écoute de l’oratorio, on entre dans une sorte d’univers cinématographique…

Je le voyais avec l’énergie d’un montage, d’un film qui se déroule. J’ai même appris qu’il existe un nouveau genre de musique de compositeurs qui écrivent des musiques de film pour des films qui n’existent pas. Il y une musique, un album, une affiche avec un titre, des visuels, mais il n’y a que la musique, une sorte de symphonie filmique. Ça pourrait se rapprocher de l’esprit dans lequel j’ai fait l’oratorio.

Et dans les monologues chantés de Serge, il y a aussi de l’inspiration liturgique orthodoxe…

De l’inspiration liturgique orthodoxe, du chant znamenny . J’ai regardé comment ça fonctionnait, en gros bien entendu, car c’est un univers très, très riche.

Comme dans Les Vêpres de Rachmaninov.

Absolument. J’ai fait un peu de dramaturgie aussi. J’ai essayé de trouver une expressivité. Le personnage de Serge de Radonège, je pense qu’il a un rapport très direct avec sa foi. Il n’est pas écrasé, surtout quand il est jeune, par les institutions. Il dit ses textes comme il les ressent : il y a moins de formalisme. Au fur et à mesure qu’on va vers la fin, le personnage de Serge rentre dans une vocalité beaucoup plus psalmodique qui montre qu’il est entré dans les ordres.

Avez-vous commencé votre travail de composition par écrire la première des 8 sections de votre oratorio ?

Cela faisait longtemps que je n’avais pas travaillé sur une œuvre d’une telle envergure, avec une grosse instrumentation. Je me suis d’abord concentré sur les tableaux que je considérais comme faciles, pour moi, à composer sur la forme du texte et ce que j’allais utiliser comme éléments. C’est ça qui a guidé, en fait, l’ordre de la composition et les numéros. Je me suis réservé les plus lourds, les plus complexes pour la fin. Ceux pour lesquels j’avais le plus besoin de me reconnecter à quelque chose de personnel, je les ai gardés pour la fin.

Et après, vous avez fait des allers et retours avec Michel Wolkowitski, avec d’autres personnes pour faire des essais ?

Non, non, j’ai eu toute latitude pour composer ma pièce. J’ai juste délivré ma partition avec le texte qu’on m’avait donné et le cahier des charges qui était celui des chœurs et du projet en lui-même. Mais c’était un vrai projet de création.

Le cahier des charges, c’était donc deux chœurs ?

Le cahier des charges, c’était, absolument, deux chœurs dont le chœur russe et utiliser le texte du Père Philippe sur un projet d’oratorio. J’ai vraiment eu toute latitude.

Y compris pour le nombre d’instruments ?

On s’est mis d’accord pour des questions de budget… Pour que ça ne soit pas hors de prix parce que, évidemment, si on m’avait laissé faire, j’aurais utilisé un orchestre de 90 personnes…

C’est quand même déjà beaucoup de monde.

Ils sont 16 instrumentistes. C’est pas mal, mais, bon, c’est assez raisonnable. J’ai terminé la composition de l’œuvre fin avril. Donc c’était vraiment tout frais sorti du four. J’ai envoyé les partitions aux instrumentistes et chœurs dans la foulée. J’ai commencé à travailler dessus avec le Chœur Symphonique de Montpellier mi-juin, et, ici dans l’abbaye de Sylvanès, ça s’est fait en 4 jours !

Quels ont été vos moments de doute dans l’écriture de l’oratorio ? Est-ce qu’il y a eu des repentirs ?

Il y a eu des doutes au début. Comme c’est un projet qui m’a demandé beaucoup de travail et d’investissement personnel, émotionnel, en temps aussi… Je me suis demandé si c’était le bon choix, si c’était une bonne idée d’aller jusqu’au bout, de m’engager dans ce projet. Cétait beaucoup, beaucoup de travail… Mais, à un moment donné, je me suis dit que ça allait être beau.

Est-ce qu’il y aura une suite à cette création ?

Ce qui est certain, c’est qu’il me semble que tout le monde a envie de le refaire d’autant que le public a adhéré, c’est génial ! Ça mériterait d’être joué à Montpellier, d’ailleurs…

Crédits photos Abbaye de Sylvanès sauf le portrait de Raphaël Lucas, signé Cédric Matet.

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