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Aux 13 Vents, le théâtre puissant et ambigu du palestinien Bahsar Murkus

Figure importante du théâtre palestinien, Bahsar Murkus a présenté aux 13 Vents dans le cadre de la formidable Biennale des arts de la scène en Méditerranée : “The Museum”, un huis clos hallucinant sur les dernières heures d’un terroriste.

Un vendredi soir, se rendre au théâtre pour voir une pièce -sous titrée en arabe- sur les dernières heures d’un condamné à mort pour avoir tué 49 enfants dans un musée… n’assure pas d’assouvir le besoin de relâchement de fin de semaine. Mais avec Bahsar Murkus, aucune chance de somnoler ou de penser à autre chose. C’est un travail qui vous prend à la gorge et ne vous lâche pas. L’intérêt est vif : Bahsar Murkus est le premier metteur en scène palestinien à avoir été invité au festival d’Avignon, l’été dernier. Pour la première fois également, le travail du dramaturge était sur une scène française.

Deux acteurs sont dans la pénombre : les excellents Henry Andrawes et Ramzi Maqdizi. Le “terroriste” est un type qui a fait les Beaux-Arts avant de devenir (vraiment) boucher. Il dit se souvenir de “la puanteur du sang chaud” dans ce musée où il a commis une tuerie de masse pour lequel il va perdre la vie par injection létale. Avec lui, un inspecteur va vivre à ses côtés ces dernières heures.

L’échange démarre comme on pourrait s’y attendre : le flic cherche à savoir, à comprendre. “Quelle est l’erreur que tu as commise ?” Le condamné : “Si tu veux entendre une réponse, faut que t’apprennes à te taire“. L’inspecteur de police : “Bien sûr, je veux une réponse“. L’étrangeté du dialogue donne des indices d’emblée. Le terroriste hoche la tête mécaniquement. Taiseux, monstre vide au sourire cruel.

On sait vite qu’on est face à un théâtre de l’ambigüité. Le récit du crime de masse est expurgé de tout motif religieux ou politique, ni même de toute allusion à la question palestinienne qui a valu à Bahsar Murkus (photo ci-dessus) de s’attirer les foudres de la droite israélienne avec une pièce sur les prisonniers politiques palestiniens. Il revendique de faire le “premier théâtre palestinien indépendant financièrement en Israël“. On ne saura même pas où se trouve ce musée. D’ailleurs, dans la rencontre qui a suivi dans le hall du théâtre, Bahsar Murkus s’est réjouit qu’on lui pose une question qui ne soit pas une question sur le terrorisme.

Entre les deux hommes, la tension monte. Le condamné se mord, faisant gicler son sang, puis exige un agneau avec un couteau pour lui trancher la gorge. Là, c’est une fascinante danse électro des deux hommes coiffés d’une tête de mouton. De la viande fraîche est amenée sur un charriot que l’inspecteur plaquera sur le visage du condamné à mort jusqu’à l’étouffer. Le face à face vire à la danse macabre. Quand l’inspecteur, de plus en plus sadique, doit laver le terroriste avant sa mise à mort, un invraisemblable érotisme entre les deux hommes vient brouiller définitivement toute notion de bien et de mal. Parmi les scènes fortes : le corps nu du criminel dans une position christique sur la table où il sera tué plus tard. “Tu n’oublieras jamais que tu voulais me torturer pour que je jouisse” dit-il, prenant le dessus.

Tout est ambivalent dans “The Museum” : la caméra est d’abord utilisée de manière inquisitrice, comme une lampe d’interrogatoire, puis l’inspecteur se fait cinéaste en la réglant tout le long de la pièce pour filmer les sévices psychologiques infligés au terroriste tout autant que la beauté virile de sa nudité. Ce saisissant huis clos sur la manipulation annule progressivement toute velléité de lecture rationnelle chez le spectateur. Un jeu de miroir, entre vice et violence, et -forcément- une certaine banalité du mal, qui esquive toute approche binaire et laisse le spectateur à son trouble. D’où sans doute la sidération du public au moment des applaudissements. Et en manipulateur ultime : Bahsar Murkus, le metteur en scène, bien sûr, pour cette audacieuse et redoutable proposition.

Photo du metteur en scène : Khulood Basel

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