Danseuse et circassienne, autrice et slameuse, actrice remarquée dans le film multi Césarisé “120 battements par minute”, Aloïse Sauvage est au Rockstore le 15 décembre pour son deuxième album “Sauvage”. C’est quoi être libre ? Comment tu t’envoles ? C’est quoi l’amour ? Est-ce que tu vas bien ? Clara Mure lui a posé 13 questions à sa façon.
Chanteuse, elle a fait les premières parties d’Eddy de Pretto avant de sortir son EP “Jimy” en 2019 avec le fameux titre “À l’horizontale” qui lui vaudra d’être nommée révélation scène aux Victoires de la musique. Son premier album “Dévorantes” en 2020 annonce un style poétique et engagé avec le percutant “Omowi” dénonçant l’homophobie. Son deuxième album, “Sauvage” sorti cet automne a toujours plus de “Love” et des titres aux paroles fortes comme “Crop Top” sur le consentement mais aussi une performance d’envol corporel très attendue. Clara Mure a rencontré pour LOKKO celle qui raconte en musique “Ya pas si longtemps c’était tout noir comme dans un monochrome de Soulages” pour lui poser des questions existentielles puisque les mots ont du sens pour elles, après un début covidé en 2020, 13 questions pour lui porter chance, deux ans après.
LOKKO : Ça signifie quoi être sauvage ?
ALOÏSE SAUVAGE : Pour moi ça signifie être libre et être connecté.e à son instinct le plus primaire, dans le joli sens du terme !
C’est quoi être libre ?
C’est compliqué ça ! C’est tenter de s’écouter le plus possible, et de ne pas rentrer dans des injonctions, d’essayer de déconstruire au maximum en tout cas les constructions dans lesquelles on s’est établi.es en reconsidérant un peu chaque particule qui nous constitue pour savoir si c’était vraiment un choix personnel ou un choix avéré et faire en sorte d’être régi.e le moins possible par des choses qui ne nous font pas du bien.
C’est quoi l’amour ?
C’est la chose la plus importante qui existe, j’ai l’impression que c’est ce pourquoi on est là, c’est pour aimer et être aimé.e. Toute notre vie tourne autour de ça et dépend de ça. L’amour de soi, l’amour des autres, l’amour de l’autre, l’amour au sein du collectif, l’amour de la famille et des ami.es, l’amour de ce que tu aimes en fait, c’est le point de départ et d’arrivée de tout.
Comment bien tomber ?
C’est drôle ce qui me vient à l’esprit : pour bien tomber, il faut pas avoir peur de tomber. Parce que même si c’est une métaphore, au cirque, dans la danse, on apprend à tomber. Comme ça le corps, il sait déjà. Et les moments où le corps sera en fragilité ou instable, il va pouvoir tomber de manière sécurisée. Donc je dirais que pour bien tomber, il faut pas avoir peur de tomber. Et je pense d’ailleurs que c’est ça aussi dans la vie, pour réussir, il faut pas avoir peur d’échouer.
Comment tu t’envoles ?
Je m’envole en partageant ma vision poétique du monde, aux autres, aux gens que j’aime ou que je ne connais pas encore mais que j’aime parce qu’ils s’intéressent aussi à ce que je propose. Je m’envole chaque jour en faisant ce que j’aime, vraiment, parce qu’en faisant ce que j’aime, j’ai la sensation d’aimer qui je suis, en tout cas d’apprendre à mieux m’aimer. J’ai besoin du faire moi pour savoir où je me situe dans l’être. S’envoler c’est lié à ma liberté. Je me sens libre quand je m’envole car cette vie que j’ai choisie et que j’essaye de mener chaque jour en étant une vie de création, de rapport aux autres constant et de rapport à soi aussi. C’est très précieux. L’envol de chaque instant c’est quand je me sens alignée avec ça.
C’est quoi la joie pour toi ?
La joie pour moi c’est rire en fait, avec tes ami.es. Désolé c’est simple, mais pour moi la joie c’est le rire. C’est cette espèce de soleil intérieur qui se voit sur ta tête, qui se voit à l’extérieur.
Comment on apprend à s’aimer soi ?
Ça c’est une grosse question, j’ai pas la réponse… Mais déjà, je pense qu’on apprend à s’aimer soi, en étant moins dur.e avec soi. Ça aide à rééquilibrer la dose d’amour qu’on se donne face à celle d’auto-flagellation qu’on a tendance à s’infliger plus facilement je trouve. Ça doit être un truc d’éducation occidentale, généralement, on ne nous apprend pas à nous aimer, bien et fort, soi-même.
C’est facile à dire mais je crois qu’on l’apprend quand enfin on accepte tout ce qu’on est, sans chercher une espèce de perfection, ou seulement à aimer qu’un côté de la pièce, on apprend à aimer être égoïste et généreux, polie et sauvage, libre et coincée. On apprend à comprendre qu’on est un tout, qu’on est le “et” et je pense que ça apprend à s’aimer, sinon on cache toujours un côté de la pièce en rendant visible seulement l’aspect “parfait”, alors que c’est impossible, nous ne sommes pas parfaits !
C’est quoi ton rapport aux autres ?
Ça dépend des autres, ça dépend quel.les autres ! Je pense que les autres sont indispensables pour moi. Je crée pour moi mais aussi pour le partager aux autres, je crée avec des autres, je vis avec des autres, je vis pour être aimée des autres, pour aimer les autres, je vis en constante réponse avec les autres, c’est grâce aux autres que j’évolue. Ils sont essentiels, ça n’empêche qu’il faut s’écouter soi aussi. J’aime les autres, oui j’aime les autres ! Pas tous, il y a quand même des connards, j’aime les gentils, mais les connards j’en fais des chansons, j’essaie qu’ils me polluent pas trop, j’essaie de gérer mon énergie avec ça. Parfois t’as envie de faire de la pédagogie et d’être plus attentive, des fois t’as envie de te protéger toi, faut équilibrer ses énergies pour pas se laisser bouffer, c’est tout. Et puis il y a des connards qui changent et d’autres qui restent connards, ceux qui changent moi ça m’intéresse. Moi aussi je change tous les jours, je ne détiens pas la vérité. Par contre si l’échange est impossible, que tu peux pas t’en nourrir positivement, à quoi ça sert, dans les deux sens. J’essaye d’être attentive aux différences entre les connards et les connards, finalement !
La musique c’est l’un de tes langages, qu’est-ce que tu y racontes ?
Je raconte qui je suis, ce que je vibre, je raconte ce que je vois, ce que je vis, je raconte simplement ce qui me traverse, comme une éponge qui traverse les autres aussi. En tout cas j’ai compris en faisant des chansons que ce qui me traversait, traversait aussi les autres, c’est pour ça aussi qu’on arrive à créer des moments de communion lors des concerts parce que ce que je raconte parle à d’autres, c’est assez universel, de l’ordre de notre expérience terrestre, où nos humanités se répondent, donc il y a pleins de choses qu’on vit pas de la même manière mais qu’on comprend chez l’autre. Mon langage c’est ça, c’est celui d’un corps qui vit sur la planète Terre et qui a un cœur.
La danse et le cirque c’est ton corps, qu’est-ce qu’il dit de ton rapport à l’espace, comment tu le caches, comment tu le montres, comment tu l’abandonnes, comment tu le contrôles, c’est quoi ton rapport au corps ?
Mon rapport au corps il est entier, il est partie prenante de mon projet artistique, de mon projet de vie. C’est un corps que j’ai au départ entraîné, sculpté avec beaucoup d’années de danse, de cirque. C’est un corps que j’aime performer, c’est un corps que j’aime sentir et c’est un corps que j’aime incarner. C’est pas qu’une enveloppe, c’est un vaisseau et il faut en prendre soin. Surtout, je pense que les émotions que j’essaie de délivrer en chansons elles passent par mon corps. Je suis déjà en train de les dire par ma voix alors si mon corps est en train de les danser ou de les véhiculer, la réception de l’émotion n’en est que plus rapide, plus directe, plus honnête et entière. J’ai l’impression que le corps c’est mon allié, notamment dans ma performance. Tout ça a un lien avec l’énergie que j’ai envie de transmettre, de véhiculer sur scène, et c’est une énergie de vie, de feu sacré, de joie, d’espoir et de courage et ça il faut l’incarner. Donc forcément mon corps, il va être bondissant, puissant, il va être tenu, parfois relâché aussi. Mon corps il est là.
C’est quoi ton genre (dans tous les sens du terme) ?
Je sais pas comment y répondre… Je pense à moi, je pense pas aux autres, aux genres de personnes. Je dirais que mon genre est fluide, voilà, mon genre est fluide, c’est beau ! Et j’aime apporter ma pierre à l’édifice simplement en étant celle que je suis, de déconstruire ensemble les binarités de genre, donc je dirais que mon genre est fluide. Je suis rien et tout à la fois.
C’est quoi ton rêve ?
Mon rêve c’est que le rêve que je suis en train de vivre continue. Mon rêve c’est que j’arrête pas de rêver en tout cas, surtout, ne jamais arrêter de rêver !
Ton chemin musical, il a commencé à une époque particulière. Alors j’aimerais te demander, est-ce que tu vas bien ? Comment tu te sens depuis 2020 ?
C’est gentil merci, c’est vrai que c’est une question essentielle de savoir comment on va ! Je vais beaucoup mieux qu’en 2020, je pense que la vie fait bien les choses. Ça a été une leçon de vie de vivre comme tout le monde cette pandémie mais à un endroit de début de processus, et de “carrière” un peu sabotée.
C’est marrant parce que ça m’a permis de vraiment me remettre à jour, de vraiment me reconsidérer totalement, et ce que j’avais envie de faire et comment et pourquoi. Du coup, je vais mieux, je vais bien, je suis beaucoup plus affirmée et plus libre qu’avant. Cette quête de liberté continue mais en tout cas je n’ai pas régressé dans ma sauvagerie, j’ai bien progressé ! Être un peu moins polie et s’écouter plus, c’est des consignes qui ont été suivies et qui me permettent aujourd’hui d’être plus en paix, plus heureuse, plus alignée. C’est le début de quelque chose, j’espère que ça va durer !
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