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Narimène Bey ou l’ambition contrariée d’une chanteuse lyrique voilée en France

Jolie voix de soprano colorature, belle, mental d’acier : Narimène Bey avait tout pour faire carrière en France mais le port de son turban lui a fermé toutes les portes. C’est ce que raconte le formidable documentaire de Laure Pradal sur la chanteuse lyrique montpelliéraine partie tenter sa chance à Paris mais… Le documentaire « Narimène » est projeté en avant-première ce samedi 28 octobre au Cinemed.

En 2019, LOKKO publiait un article sur « Narimène Bey, première femme voilée de l’opéra » qui a inspiré un documentaire à Laure Pradal. Documentariste bien connue à Montpellier, ancienne collaboratrice de « Strip-tease », l’émission culte de la télévision belge, on lui doit une série de documentaires à la veine sociale dont un passionnant « Village vertical » sur la tour d’Assas à la Paillade.

Impossible à l’opéra de Montpellier

On attendait donc avec impatience ce nouveau travail sur la chanteuse montpelliéraine, partie à Paris tenter sa chance. Avant de visionner, ce souvenir d’une conversation avec Valérie Chevalier, la directrice de l’Opéra Orchestre national de Montpellier sur cette jeune femme voilée et sur sa possibilité de réaliser son rêve : chanter dans le chœur montpelliérain. « Impossible, hélas« , avait répondu la directrice. Une scène d’opéra est un espace public et à ce titre, ne peut accueillir une chanteuse portant un voile« . Que Narimène ait choisi, comme elle l’explique dans l’entretien avec LOKKO, de porter un turban, plus discret que le voile, n’y fait rien.

Avec ce tact auquel elle nous a habitués, la subtilité de sa caméra qui filme les moments les plus intimes en se faisant oublier, la documentariste a su aborder un sujet épineux en s’en tenant aux faits. 

On voit d’abord Narimène Bey chanter sur le balcon de son appartement montpelliérain d’où l’on voit passer la ligne 2 du tram. Image suivante : elle annonce son année sabbatique aux élèves de ses cours de français dans un collège montpelliérain, et là elle ne porte pas son turban, ses cheveux sont libres. « Si ça marche pour moi, je continue » leur explique-t-elle. « Mais vous êtes enseignante et chanteuse en même temps, c’est pas bizarre ça ? » lui objecte un élève. « Croyez en vos rêves« , leur dit-elle en substance.

Arrivée à 3 ans en France d’Algérie, elle a grandi à Epinal dans une famille « pauvre ». Le père vit du RMI. La mère va faire ses provisions au Restos du cœur. Elle jouait du violon dans les églises avant de découvrir sa voix. La distinction, le sourire, l’amour de la France de la jeune femme est un de ces miracles de l’intégration républicaine.

« Elle ose, boucule nos repères et nos préjugés »

Volontaire, tenace, elle tente tout. Elle fait des live sur TikTok en documentant elle-même son aventure. Elle sacrifie une partie de ses économies pour suivre des cours en Italie, au Saluzzo Opera Academy, avec des professeurs du Metropolitan Opera de New-York, de la Scala de Milan qui écoutent avec respect son « Alcina » de Haendel. Sa jolie voix de soprano colorature a convaincu le jury. « C’est magnifique » lui dit un professeur. A Laure Pradal, qui l’a suivie durant 2 ans (en 2022 et 2023), elle chuchote dans un couloir le jour de l’audition qu’elle a rendez-vous avec un agent allemand, mais celui-ci, hélas, dira sa préférence pour les jeunes chanteuses. Elle a 35 ans et la chance n’est pas loin d’être passée. 

Le défi parisien

Puis c’est la grande décision : elle déménage à Paris, quasiment sans argent, elle prend tous les risques, trouve un logement dans le quartier de la gare du Nord. Commentaire de Laure Pradal : « elle ose, fonce, bouscule nos repères et préjugés« . Retournée dans ses Vosges d’origine, elle revoit une professeure à laquelle elle confie « la discrimination de race mais aussi de milieu social » qu’elle subit. Surtout dans l’opéra, soupire-t-elle : « L’opéra, alors là…. ». Au téléphone, « la directrice de la plus grande agence, pour moi, d’opéra en France » qui l’avait remarquée dans un concours, deux ans auparavant, lui a dit qu’elle ne pourra « pas aller chanter sur des scènes, jouer des personnages qui ont existé à une certaine période de l’histoire avec un turban sur la tête« . Elle fréquente tous les milieux. On l’a beaucoup vu chanter auprès du rappeur Kery James. 

La France serait-elle plus difficile pour les jeunes chanteuses musulmanes ? Sera-t-elle jamais la première « Reine de la nuit » voilée en France ? Le documentaire apporte une réponse claire. Dans un dîner parisien organisé par le pianiste Philippe Allègre et son association Piano Passion, avec lequel elle vient de chanter, elle redit que l’ »opéra en France n’est pas très très ouvert d’esprit… mais je ne désespère pas« .

Plus facile en Italie et en Angleterre

A l’entendre, les choses sont différentes ailleurs en Europe. Lors de son expérience italienne, durant laquelle les cours ont été associés à une représentation, les stylistes de la production s’étaient « adaptés » sans états d’âme. A ce titre, l’audition passée dans la Saint-Gabriel Church à Londres, est édifiante. « Je rencontre des difficultés pour percer en France » confie-t-elle devant un jury enthousiaste. « Vous pensez être discriminée ? » lui demande-t-on. Elle redit l’impossibilité d’y être « engagée dans un opéra car, à l’heure actuelle, on ne peut présenter au public une femme avec un turban« . Voilà pourquoi, explique-t-elle, elle est venue passer cette audition du Pegasus Opera, « une institution qui donne leur chance aux chanteuses qui ont le même profil que moi« . « Mais quelle importance quand on voit les costumes dans les productions européennes, quelle différence cela fait-il ? » regrette le jury. « C’est anachronique ! » commente-t-elle.

« J’en pleure parfois »

Plus loin, elle laisse son émotion se dire : « J’en pleure parfois, rien n’a abouti au bout d’un an, cette France ne m’accepte pas« . Une solution : se produire elle-même. Un récital est envisagé avec des tubes de la musique classique et de l’opéra sans exclure la variété française.

Le documentaire termine sur un sourire : « J‘ai une opportunité en Arabie saoudite avec le ministère de la culture pour être chef de chœur. S’il faut aller à l’étranger pour mieux revenir en France, pourquoi pas ?« 

Le film « Narimène » de Laure Pradal est projeté en avant-première au Cinemed, le 28 octobre à 16h au centre Rabelais. En présence de Narimène Bey, de la réalisatrice Laure Pradal, du producteur Youssef Charifi (Pages & Images). Le film a reçu le soutien de la Région Occitanie en partenariat avec le CNC. 

Il sera diffusé ultérieurement sur France 3/Île de France, et le 17 janvier 2024 à la SCAM (Société civile des auteurs multi-média) à Paris. Mais France 3 Occitanie n’en a pas voulu donc le public montpelliérain pourra le voir seulement à l’occasion d’une nouvelle projection locale, encore en projet. 

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Philippe Gaches
Philippe Gaches
1 année il y a

Plusieurs interrogations me viennent à la lecture de votre article.
1- Est-ce que Madame Bey pourrait fournir la liste précise des maisons d’opéras et des rôles qui lui ont été refusés après audition et en raison de son foulard ?
2- La France semble être un problème particulier mais ses contacts à l’étranger sont multiples. Comment expliquer que madame Bey n’y ait pas fait la carrière que la France semble lui refuser ?
3- Si madame Bey débute une carrière de Chef de chœur en Arabie Saoudite, quel sera alors son répertoire, dans un pays qui refuse le chant lyrique profane, les chants sacrés d’une autre religion que l’Islam ?
Un nouveau film au Cinemed l’an prochain ?

Robert Mas
Robert Mas
1 année il y a

Bonjour, la lecture de votre article suscite plusieurs questions :
vous mettez en cause la directrice de l’opéra mais elle ne fait que redonner lecture de la loi en France qui veut que dans des lieux qui reçoivent du public, la laicité soit de mise : vous n’ignorez pas qu’un enseignant en est mort il y a peu de temps ; il est plutôt dangereux de désigner des personnes à la vindicte. de plus dans des spectacles, le metteur en scène est seul juge: s’il veut des chanteurs et des chanteuses costumés comme c’est souvent le cas comment intégrer une chanteuse qui refuse le code vestimentaire du spectacle ? c’est de son libre arbitre de créateur dont on parle ou doit-il y renoncer ? La culture devrait-elle de force intégrer le religieux?
la question de la laïcité semble au cœur de votre article, peut-on oser imaginer qu’il est légitime de défendre une société où l’expression de la foi est personnelle et ne s’exprime pas forcément dans les lieux publics, les scènes de théâtre ? que dirait-on d’une chanteuse qui refuse de monter sur scène sans arborer une croix catholique visible de tous?
Il serait plus informatif de pouvoir étudier tous les rôles qui ont fait l’objet d’une audition et qui ont été refusés à Mme Narimène Bey sur le seul prétexte de son foulard, en effet de nombreuses chanteuses et de nombreux chanteurs postulent sans succès lors d’auditions dans les maisons d’opéra et ne sont pas engagés.
Mme Bey se présente comme une « victime » d’un système français « sectaire » mais semble avoir des opportunités ailleurs: pourquoi ne les acceptent-elles pas ? se faire un nom en Italie ou en Angleterre lui permettrait de se faire un nom et de tester si le problème est juste en lien avec notre système.
Mme Bey évoque la possibilité d’une carrière en Arabie saoudite. C’est très intéressant au vu de la place des femmes dans ce pays. Compte-t-elle y faire carrière avec un répertoire profane ou sacré? Parce qu’une question me taraude: un foulard ou un voile musulman s’il est religieux doit signer un comportement pudique assez incompatible avec le désir d’être mise en vedette …..par contre s’il est le signe d’un islam politique n’est-il pas le rôle des journalistes de poser les bonnes questions? Est-il souhaitable de soutenir ce désir d’imposer des règles religieuses dans un pays qui lutte tant bien que mal pour défendre la laicité dans une Europe qui recule sans cesse (le Danemark vient de voter une loi interdisant le blasphème)?
Ne serait-il pas intéressant de rappeler la question du voile en Iran ? n’est-il pas faire insulte aux fillettes d’Afghanistan que de banaliser une demande insidueuse de renoncement à la laïcité? l’honnêteté intellectuelle voudrait que soit mise en balance de votre article apologique, la réalité de la loi républicaine mais aussi des avis divergents de directeurs de spectacle ou de metteurs en scène. Aussi sympathique que soit Mme Bey, mon propos n’est pas de l’empêcher de faire carrière à sa guise: mon propos est plutôt dans l’étonnement de l’absence abyssale de questionnement de votre article. Bien à vous .Robert .

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