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Série “Plus jamais ça” : la coloscopie

Retour de la série drolatique de Marie Urdiales : après le hamam à Istambul, les sites de rencontre, la méditation, le soin beauté entre autres, ce 10ème épisode de “Plus jamais ça” raconte une coloscopie…

La série complète en bas de page.

Ahhhh ! La France… ! Ses spécialités fromagères, ses domaines viticoles, sa mauvaise foi légendaire et surtout : la France et sa couverture médicale. Non, sincèrement, pas un jour ne passe sans que je ne remercie le ciel d’être née dans un pays et à une époque qui me donne accès à tant de belles choses ! Et pour pas cher, qui plus est.

Qu’on se le dise, je suis une grande amatrice de dépistages en tous genres. Pour avoir vu mourir mon père à l’âge que j’ai aujourd’hui, après deux longues années à vomir ses tripes et la boule à zéro, je ne rate pas une occasion pour me faire palper les entrailles. Sérieux : entre me faire coincer les miches entre deux plaques de métal froid une fois tous les deux ans, ou passer des heures de ma précieuse car unique existence dans un service de cancérologie, directement reliée a une perf’ de chimio, mon choix est vite fait.

Je suis donc à jour de tous mes examens médicaux, gynécos, ophtalmos, dentaires et même plantaires. Tant mieux. Car cette année, pour des raisons que je qualifierais d’héréditaires, j’ai découvert une nouvelle option : la coloscopie. Miam miam.

Si vous avez 50 ans passés, vous avez tous et toutes reçu un jour, en plus du récapitulatif de vos points de retraite, une mystérieuse enveloppe bleue. Contenant des accessoires plutôt déconcertants, dont l’utilité vous est expliquée dans un mode d’emploi digne d’une notice de montage de meubles suédois. Sauf que le jour où vous voulez tester le dispositif, vous constatez que les meubles suédois, eux, résistent bien mieux à l’utilisation que les accessoires en question.

Cet article est censé être divertissant, je vous épargne donc les détails de l’expérience sus-mentionnée.

Bref.

Colo(nie) et colo(scopie)

Vu mon patrimoine génétique, le seul dont je dispose (et d’un point de vue cancérologie, c’est pas terrible, disons-le) mon médecin suggère gentiment de passer directement à l’étape “Coloscopie”. C’est con mais ça me fait rire quand même : mon éditeur allemand vient justement de me passer commande pour un mini-roman dont l’action se déroule… en colonie de vacances. Entre colo et colo, je me promets de faire doublement gaffe en envoyant mes mails.

Notez que quand vous parlez colo-scopie, et quelles que soient vos fréquentations, vous pouvez être sûr,es qu’il y aura toujours quelqu’un (un mec, dans le doute) pour lancer un “aussi bien tu vas aimer ça” sur un ton goguenard.

Euh… Je ne pense pas, non. De toute façon je serai anesthésiée donc même pas je pourrais profiter.

Premier pas pour une coloscopie réussie : trouver un gastro-entérologue. Ou plutôt trouver UNE gastro-entérologue, car je préfère généralement les médecins féminins, surtout pour des sujets aussi intimes qu’une coloscopie. Et comme nous vivons vraiment dans un pays riche, où existe un embarras du choix largement sous-estimé : trouver quelqu’une qui coloscopie le lundi ou le vendredi, jours auxquels mon mec ne travaille pas (toujours). Sachant qu’il faut quelqu’un pour venir vous chercher et rester avec vous la nuit. Sachant surtout que je compte bien en profiter pour chouiner un max et me faire chouchouter, tant qu’à faire.

Mon médecin traitant (ma médecine traitante?) me donne des noms et numéros de consœurs en milieu mutualiste, donc 100 % pris en charge. J’appelle pour prendre rendez-vous. J’appuie sur la touche 1, articule ma demande, confirme par étoile, et une voix me demande gentiment de rappeler aux heures d’ouverture du secrétariat, de 9 h à midi. Il est 9 h 10. Inutile de faire durer le suspense : j’entendrais ce message une bonne douzaine de fois entre 9 h et midi, et idem le lendemain. Je ne sais pas quel secrétariat est ouvert, mais visiblement ce n’est pas celui-là. Dans la mesure où la patience n’est pas mon fort et vu que j’ai une aversion primaire pour les applications de prise de rendez-vous (les caisses automatiques du supermarché, les chatbots en tous genre,… ) je lâche l’affaire et tente ma chance auprès du CHU. J’obtiens un rendez-vous deux semaines plus tard. Avec un médecin homme, mais bon. À 20 heures. Soit.

CHU, jeudi, 20 heures.

Nous sommes encore en hiver, il fait nuit tôt, je traverse le parking sombre sur mon vélo. Que j’attache comme je peux autour du premier poteau venu. Il n’y a pas un chat quand j’entre dans le bâtiment où est installé le service Gastro du CHU. C’est un peu flippant, un peu étrange, et la lumière jaunâtre n’arrange rien. Je suis les flèches jusqu’à la salle d’attente. Deux femmes patientent déjà, le médecin a presque une heure de retard sur ses rendez-vous. La salle d’attente dégage une impression de désolation. C’est vieux, abîmé, un peu sale, même, on dirait. Sur les chaises sont encore collées les indications Covid : “Merci de ne pas vous asseoir ici”. D’ailleurs, tout le monde porte un masque, c’est étrange : j’avais presque oublié ces temps pourtant pas si lointains. Je m’installe, et j’attends.

Le médecin qui me reçoit porte lui aussi un masque, il est plutôt sympa, c’est un homme, il ne coloscopie ni le lundi ni le vendredi mais bon : certes on a le choix, mais on ne va pas non plus trop faire la fine bouche pour se faire entuber. Moi qui suis une grande fan du service public, je veux bien faire des compromis. Je reçois des explications, les documents nécessaires, une ordonnance et une poignée de main ferme et rassurante. Je sors. Me dirige vers les toilettes avant de reprendre mon vélo… et fais demi-tour sans m’arrêter. Rarement dans ma vie, j’ai vu des toilettes aussi crades que celles que je découvre ce soir-là dans une aile d’un CHU réputé.

Le secteur public, ça sent le découragement

Clairement, je ne suis ni maniaque ni pénible, et c’est le même hôpital dans lequel je m’étais déjà faite opérer quelques années auparavant. Une quinzaine, il me semble. Sauf qu’entre-temps la déchéance est visible à l’œil nu. Lorsque j’évoquerais avec mon médecin mon refus de me faire faire ne serait-ce qu’un examen médical dans un hôpital aussi peu engageant, elle aura un gros soupir et le regard désolé. Oui, le service médical public est laissé à l’abandon, c’est un fait. Ça sent le découragement. Et après on s’étonne qu’on ne parvienne plus à recruter.

Je renonce donc au mutualiste et au public, et opte pour un cabinet (sans jeu de mot aucun) qui a la bonne idée de mettre une vraie personne à l’accueil téléphonique, avec qui je pourrais discuter de mes besoins, mes préférences, mes disponibilités… Les délais pour avoir un rendez-vous sont un peu longs mais finalement, par une belle matinée de printemps, me voici enfin assise devant docteur M.

C’est une femme (elle marque un premier point) elle opère les vendredis (yess!) et comme de plus en plus de médecins autour de moi, elle est tellement jeune que j’ai presque envie de lui demander si elle est sûre d’avoir son bac. Dire qu’il n’y a pas si longtemps, les médecins que je voyais étaient généralement des mecs entre deux âges, et qu’ils me paraissaient tous super vieux…

C’est quelque chose qui m’échappe encore. Qu’on veuille « faire médecine », OK. Mais qu’est-ce qui pousse une jeune femme a choisir une spécialité pareille ? Comment peuvent réagir des parents à qui leur fille déclare un jour que, quand elle sera grande, elle s’occupera de flatulences, d’hémorroïdes, de cirrhoses et d’ulcères ?

– Euh… T’es sûre ? Tu préfères pas plutôt faire, ché pas moi… Princesse ? C’est bien princesse, non ?

Je n’ose pas poser la question à la jeune doctoresse, vue la position de vulnérabilité absolue dans laquelle je vais bientôt me retrouver face à elle, mieux vaut éviter de l’agacer.

Jambon coquillettes

Elle m’explique le déroulé des opérations. J moins 3 : préparation du terrain. On m’en a déjà beaucoup parlé, manifestement, c’est pas la partie la plus fun du truc. Interdiction de consommer des fibres, or j’ignorais que le vin et la bière en contiennent aussi, des fibres. En tout cas, ils apparaissent en gros dans la colonne “interdit” de mon futur menu. En gros, pendant trois jours, ça va être jambon coquillettes, et la veille, vidange intensive de l’intestin. Je ne sais pas si ça fait partie des études de gastro-entérologue, en tout cas, il faut arriver à expliquer élégamment à un patient innocent que pendant 24 h, il devra veiller à toujours avoir des toilettes dans un périmètre restreint (trois mètres cinquante, comme j’ai pu constater) et qu’après l’examen, il devra veiller à ne jamais se trouver à un certain périmètre d’autres êtres humains (un mètre 20, ça c’est mon mec qui l’a constaté).

Au cas où vous l’ignoreriez : pour lire dans vos entrailles, on vous dilate avec du gaz, et après, vous devez dégazer. Un processus qui se fait naturellement, de préférence dans les espaces clos lorsque vous n’êtes pas seul,e.

– Mais c’est propre, me rassure la spécialiste du rectum.

Un colon tout propre… J’en connais un qui va vouloir en profiter.

L’être humain est quand même une chose bizarre. Il suffit qu’on le prive de quelque chose pour qu’il en meurt d’envie. Deux jours de jambon coquillettes œufs durs, et déjà je fantasme sur des carottes râpées. Sérieux. Je me console en pensant à une amie qui est “sans fibres” depuis plus d’un mois mais visiblement, ma sororité s’arrête là où commence mon assiette. En fait, ça ne me console pas du tout. À J – 1, j’ai droit à une assiette de riz. Blanc. Avec “un peu de beurre”. Je balance 30 grammes de gras sur mon riz et me sens comme une grande criminelle. Les boissons ne sont absolument pas mauvaises, alors qu’Internet regorge de complaintes sur “ces trucs dégueux” à prendre avant. Bon, ça ne vaut pas un bon St Chinian, mais franchement : ça se boit sans trop de problèmes.

4 litres d’eau par jour

En revanche ingurgiter plus de quatre litres d’eau dans la journée, avec un timing ultra précis, c’est plus délicat. Je cale à 22 h 30 après 3800 ml au lieu de 4000. Bizarrement, je dors quand même super bien.

Je ne sais pas si mes intestins sont vides, en tout cas mon estomac gargouille.

La cafet de la clinique s’appelle Colombus et s’inscrit clairement dans ma série perso de « c’est con mais ça me fait rire ». Colombus… Colon… Oui bon, je sais. 

A force d’avoir peur d’être un peu en retard, on finit par être très en avance. J’arrive 45 minutes plus tôt que prévu, en tram, comme une grande. Dans la salle d’attente, pourtant lumineuse et bien aménagée, l’ambiance est un peu glauque, ça sent l’angoisse, c’est solennel comme dans une église.

Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer que parmi ces gens, certains vont peut-être voir leur vie basculer ce matin. Et aussi bien, ça va tomber sur moi. Suffit qu’on trouve des polypes avec une sale gueule au fin fond de mes intestins tout propres et hop ! Finis les projets de l’été. Que dis-je ! De la vie même !

J’ai beau avoir l’esprit joueur, je n’ai pas très envie de tester les progrès des chimiothérapies. Tout bien considéré, je ne me sens pas très motivée non plus pour être l’auteure d’un énième livre sur “Moi, ma tumeur, mon combat”.

Une femme qui discute avec son amie fantasme sur une biscotte au beurre. J’aime bien les humains. Ils sont touchants (pas tous mais beaucoup, quand même). Une biscotte au beurre, comme c’est mignon ! Ceci dit, je n’ai toujours pas décollé de mes visions de carottes râpées donc bon…

Numéro 24, c’est moi. Une infirmière m’accompagne chambre numéro 7. C’est l’heure de revêtir la tenue officielle : chemise ouverte derrière, chemise ouverte devant, chaussons, et l’obligatoire et moche charlotte. Un brancardier vient me chercher, mais sans brancard, et me voilà trottinant derrière lui, en tenant mes chemises ouvertes à tous les vents (toujours sans jeu de mot aucun) jusqu’à l’antichambre du bloc.

Mention spéciale au personnel, c’est dans ces moments-là qu’on comprend ce que c’est la vocation. Tout le monde est souriant, décontracté et rassurant à la fois. Enfin : ceux qui travaillent en tout cas, parce que les patients, eux…

C’est assez drôle : dans n’importe quel service hospitalier où je me suis déjà retrouvée, la conversation entre patients se faisait rapidement parce que la plupart des humains adorent raconter leurs histoires de maladies, d’interventions chirurgicales, et autres anecdotes pas toujours drôles. En unité de gastro en revanche : silence. Visiblement, c’est plus gênant de demander à un inconnu s’il vient se faire retirer les hémorroïdes que de raconter son dernier pontage cardiaque.

Dans l’antichambre sont déjà installés deux hommes, qui font ce que je ne vais pas tarder à faire : fixer l’écran de télé sur lequel est diffusé sans le son un documentaire ARTE sur je ne sais quel tragique histoire asiatique. C’est le seul bémol de cette journée : le choix du programme télé laisse assez à désirer.

On attend. Pas longtemps ceci-dit, le timing est parfait.

Le principe du “on-off”

Arrive mon tour. Je marche jusqu’au bloc, je grimpe sur le brancard, un gentil anesthésiste me prépare, il m’explique que je vais m’endormir et me dit doucement “à tout à l’heure” et soudain je me réveille en salle de repos.

– C’est du “on/off” m’avait expliqué la (toute jeune elle aussi) anesthésiste et c’est vraiment ça : “Off”, vous dormez et “On”, vous vous réveillez, entre deux, il manque une demi-heure de votre vie, laps de temps pendant lequel docteur M a trifouillé vos entrailles à la recherche de polypes suspects.

Retour en brancard dans la chambre, plateau-repas -du beurre mais pas de biscotte !- une heure à peine plus tard, je sors sur mes deux pieds, l’esprit léger, l’appétit décuplé. Partie de chez moi à 8 h ce matin, à 13 h je me retrouve chez moi. Devant une grosse assiette de carottes râpées.

Le privé prend 50 euros de dépassement d’honoraires, mais à ce prix-là, j’ai trois photos en couleur de mon colon…

 

Je dédie cet article à ma mère, qui aurait pu le lire si elle avait accepté les invitations à se faire dépister…

La série “Plus jamais ça”

Le camping alternatif au Québec, Le hamam à Istanbul, Le soin beauté, L’Espiguette, la nuit, Le shopping, un jour de soldes, Les sites de rencontre, La méditation de pleine conscience, L’escalade en milieu naturel, Montpellier-Toulouse en moto.

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